Les 3C, à la rencontre de Mathieu Ehrhard, directeur artistique et acteur.

Le Mardi 11 février, les élèves de 3C ont rencontré Mathieu Ehrhard, directeur artistique du Collectif OS’O (pour “On S’Organise !”) et acteur dans ​Pavillon Noir, dans le cadre de leur PEAC théâtre et grâce au partenariat avec la M270 de Floirac.

Il a eu l’occasion de parler aux élèves de la pièce qu’ils iront voir à la M270 le 12 Mars prochain, et de leur expliquer les circonstances de sa création, ainsi que du métier d’acteur. 

Pavillon Noir est un spectacle dont le processus créatif a été particulier, comme l’explique Mathieu Ehrhrard : “un collectif de 7 acteurs-rices, plus un collectif de 7 auteurs-rices (collectif Traverse) et 2 coordinateur-rices. Soit 16 personnes au total pendant 13 semaines pour inventer et créer ensemble, se mettre d’accord !”. Cette difficulté a été au coeur d’une autre particularité de la démarche de création collective : “OS’O, ça veut dire On S’Organise ! Nous sommes un “vrai” collectif, il n’y a pas de leader. Obligé d’ajouter “vrai” car souvent on ne nous croit pas. Mais on fonctionne comme cela depuis 10 ans bientôt.” 

La vie de ce collectif,  c’ est déjà une drôle d’histoire : “Avec les membres du collectif OS’O, on s’est rencontrés à l’Ecole Nationale de Théâtre à Bordeaux (ESTBA). Danse, cirque, chant, respiration, c’est une super école ! A la fin de notre cursus scolaire en 2010, on a d’abord créé un spectacle,​ l’Assommoir​, puis le collectif s’est construit autour de ce premier projet. Cela fait maintenant 13 ans que l’on se connaît. Jeunes, on se parlait moins franchement, maintenant on grandit avec le collectif, on se parle plus franchement. Il faut se regarder les yeux dans les yeux et accepter des critiques sans se vexer du genre : « là tu joues très mal ». Et c’est émouvant de se voir grandir ensemble. Une des comédiennes vient d’avoir un bébé, c’est notre mascotte. Il y a eu un moment important : la pièce sur la dette, à partir de Shakespeare en 2014. C’était une pièce sur le thème de la culpabilité, de ce que l’on doit aux autres. Faire du bien à l’autre, ça n’est pas attendre quelques chose ? Dans le groupe on a donc travaillé sur la culpabilité ; on était tous les cinq à se demander ce que l’on devait à chacun… ça a été douloureux. Soit le collectif s’arrêtait, soit on en sortait grandi de cette pièce. On s’en est sortis grandis. Il faut se parler, se dire les choses.” 

Pavillon Noir, un pièce sur les pirates modernes, à l’ère de Snowden,  est d’ailleurs née d’une démarche artistique totale : “Pour ​Pavillon Noir,​ comme on a inventé le spectacle à 16 personnes, c’était un joyeux bazar… chaque jour on changeait de capitaine, on s’est organisé comme sur un bateau de pirate. Au début on a fait des recherches… on a découvert que l’âge d’or de la piraterie ça a duré 10 ans environ… le pavillon noir ne laissait qu’un choix : soit se rendre soit mourir. Ils ont mis à mal le système en place, tout ça, ça nous a intéressé. Quand on devenait pirate on abandonnait son identité d’ailleurs. Ça aussi on a aimé. On a découvert que pour s’occuper sur le bateau ils faisaient du théâtre : ils faisaient de faux procès, en imaginant leur propre jugement avant la pendaison. Et puis ils ont mis en place une forme de sécurité sociale : s’ils perdaient un membre ils touchaient un peu plus du butin.” 

Forcément, la création qui s’ensuit est extrêmement originale : “Il n’y aucun outil numérique sur scène, alors que le sujet est lié au numérique. On ne voulait pas de numérique sur scène, de virtuel pour parler du virtuel. Le théâtre c’est le lieu de tous les possibles et de l’imagination. Si tu veux une machine à café, tu la vois, et tu bois une tasse. Point. Si tu y crois à fond, tu crées des choses sur scène. (…)Dans la pièce ​Pavillon Noir​, toutes les scènes qui se jouent dans une esthétique “bleue”, c’est ce qui se passe dans le virtuel. Une actrice joue une métadonnée. On s’est amusés à jouer un email, un sms, un appel caché, un troll. On voulait poser des questions. Qu’est-ce qu’un pirate ? Un terroriste ou un robin des bois ? De quel côté on est ?”

Cela ne doit pas faire oublier l’aspect purement financier du projet, et les démarches engagées : “On est allés à la rencontre de théâtres pour trouver de l’argent et financer la pièce ; vu qu’on était 16, on devait trouver beaucoup de partenaires. En tout 13 semaines pour financer le projet : début de l’écriture en Juillet 2015 ; Janvier 2018 pour sa création.”

La discussion a naturellement amené les élèves à s’interroger sur la vie de groupe, et l’idée d’un collectif dans un acte de création : “Pour ​Pavillon Noir,​ ça a été long de se mettre d’accord. Lors de “Nuit Debout”, en 2016, des personnes ont établi des codes de parole, pour se parler. On a fait la même chose. On a utilisé plein de petits codes visuels pour communiquer sans faire trop de bruit, et « s’entendre » . Par ailleurs, parfois je m’en fiche ou je fais confiance à la personne qui parle, mais après t’acceptes… par exemple on s’est mis d’accord sur le fait qu’il fallait ne pas tout aimer dans le spectacle, car sinon ça ne serait pas une pièce de piraterie, mais un consensus mou. Ca m’a fait travailler sur mon ego. Ca demande beaucoup d’humilité, de se mettre d’accord entre nous, et de jouer une chose qu’on n’aime pas. On a tous une case dans laquelle on nous met dans un groupe, vous savez, il y a celui qui dit toujours non, le casse-pieds, la tête en l’air, le stressé, le comique…. moi je suis le “susceptible” alors il faut accepter ses faiblesses pour que le collectif continue et travailler dessus. Notez qu’un prof est un acteur ; il vous parle et vous l’écoutez. La seule différence avec moi c’est qu’il ne se grime pas.”

Quoique… l’acteur lui-même change après avoir joué et s’être grimé : “Et la place de la vie privée dans le monde du numérique ? Au début je me disais « je m’en fiche, je n’ai rien à cacher » ; au final j’ai changé d’avis, parce que le spectacle que tu joues te change, et au final je me dis que se dire qu’on n’a rien à cacher et que ça n’est pas grave si on connaît nos secrets, c’est dangereux, il faut toujours avoir quelque chose à cacher. Le fascisme commence par ça : qu’on

connaisse tes préférences sexuelles, surtout l’homosexualité, ta religion, tes opinions politiques, qui sont tes amis, ce que tu fais de tes journées…”

La notion de collectif, au final, restera l’un des messages les plus forts donnés mardi à la classe, car le théâtre amène à s’interroger sur sa place dans le groupe : “Je vous souhaite de ne pas être d’accord entre vous ; pour apprendre à comprendre la différence chez l’autre et à l’accepter. L’humilité, c’est pouvoir se remettre en question. C’est ce qui qui fait qu’on peut vivre ensemble.”

Un rencontre des plus riches !

Images liées: