Garance K.A. 3F — Mausolée marin

Garance K.A. 3F — Mausolée marin

11 octobre 2023 Non Par CDI

Mausolée de la mer

Chapitre 1 : 

Ceci est mon histoire, mon histoire post mortem précisément. L’histoire de quelques os solitaires, ou de ce qu’il en reste. Mais avant de continuer, commençons par le commencement, c’est à dire un évènement pour moi unique en son genre. Ma mort.

On commence souvent une histoire par se présenter, mais mon nom n’a aucune importance. Nous passerons donc outre, disons juste que je suis un petit garçon. Point suivant. Je ne sais pas exactement quand je suis mort. C’était l’été sans doute, il faisait chaud, mes parents et moi étions à la mer. Je n’ai pas très bien compris. Je me baignais sur le bord, et quand j’ai voulu respirer, seule de l’eau est rentrée dans mes poumons. Il ne m’est même pas venu à l’idée de crier. L’eau était chaude, c’était doux. C’est comme ça que je suis mort, sans heurt, tendrement bercé.

Je me suis dis après que toutes les morts n’étaient peut-être pas ainsi, mais ma mort ne m’a pas semblé particulièrement étrange, du moins sur le moment. Je pensais, et pense toujours, être porté par un courant maternel, qui m’aurait pris sous son écume. Je voyais du pays, mes parents ne me manquaient pas. Je les avais un peu oubliés. Ce n’était pas très important. La mer était ma mère. Et je n’ai pas tardé à me trouver un père.

Chapitre 2 :

J’ai rencontré mon père plus tard dans mon existence de petit garçon mort. C’était un soir de grand vent et des trombes d’eau s’abattaient sur ma mère la mer. Au-dehors cela devait être cacophonique, mais c’était très agréable vu du dessous, si on s’enfonçait bien dans les chaleureuses ténèbres de ma mère. Il n’y avait pas de bruit, je voyais juste les ronds que formaient les gouttes à la surface de l’eau.  Ma mère m’avait porté près d’une grande falaise, et j’avais aperçu tout en haut un homme face à la mer, au cours d’une des rares accalmies. Je m’étais approché de la surface, alors que la pluie reprenait, et je l’avais entendu parler au travers des rideaux d’eau qui tombaient du ciel.

A partir de ce jour, ma mère m’avait ramené voir mon père à la falaise à chaque tempête. Il savait beaucoup de choses, et j’en apprenais tout autant. Une fois, ma mère m’avait proposé d’aller voir mon père d’un peu plus près, et j’avais accepté. Elle s’était alors élancée contre la falaise, et nous avions été projetés dans les airs. Je mettais maintenant un visage sur ce nom. Mais je crois que mon père n’a pas eu le temps de bien nous voir car il nous a rappelé alors que nous retombions. Alors nous sommes revenus. A chaque visite, je l’écoutais parler au travers de la tempête, et, quand le ciel redevenait bleu et que nous nous apprêtions à partir, nous nous projetions là haut à sa rencontre. A force j’étais devenu cultivé, je n’étais plus un petit garçon. D’ailleurs, je n’avais plus ni corps, ni os, ni quoi que se soit.

Chapitre 3 :

Débarrassé de toute existence physique, je pouvais faire ce que je voulais. Même me dissoudre, jusqu’à être toute l’eau du monde. Mais je n’aimais pas ça, ça me donnait l’impression de ne plus exister du tout. Je préférais me laisser porter doucement par les courants. Mais un jour, ma mère m’a amené avec elle, sans me dire où nous allions. Et nous sommes arrivés près d’une petite plage, peu fréquentée. Et là j’ai vu. Une petite fille se débattait, entrainée au large par une baïne. Contrairement à moi, elle ne semblait pas décidée à se laisser mourir. Mais elle était si fragile, dans le grand Océan. Elle finit par couler. Et ma mère alla la chercher. Ça me ferait une petite sœur, dit-elle. Et j’étais assez content. Une extension familiale ne pouvait pas me faire trop de mal.

Malheureusement, ma sœur ne s’habituait pas à sa mort. Au début, elle ne cessait de sangloter. Puis, quand elle compris que nous serions sa nouvelle famille et que nous prendrions soin d’elle, elle s’arrêta. Mais ses larmes continuait de couler, et de couler encore. Pour la consoler, je lui montrais les barrières de corail multicolores, les endroits où trouver des perles de la taille d’une pomme, les cimetières des épaves, les volcans sous-marins, et les bancs de baleines… Et cela fonctionnait, ma sœur souriait. Et ses larmes continuaient de couler.

Chapitre 4 :

Quand ma sœur a perdu son corps, mère et moi avons décidé de l’amener voir père. Mais ma sœur ne l’a pas du tout aimé. L’homme sur la falaise lui faisait peur. La seule fois où nous sommes arrivés à la convaincre de monter à sa rencontre, il grimaça en l’apercevant. Je crois que lui non plus n’aimait pas beaucoup ma sœur. Alors j’apprenais moi même à ma sœur ce que je savais. De toute façon, père n’avait plus grand chose à m’apprendre. Voir même plus rien du tout.

Et puis un évènement est arrivé. Alors que ma mère, ma sœur et moi arrivions à la falaise, mon père s’est jeté à l’eau. Ma mère hésitait. Devait-elle le prendre avec nous ? Comme elle ne savait pas, elle m’a laissé choisir. Je me suis avancé vers lui. Un père pouvait toujours être utile. Et j’ai pensé à ma sœur. Même sans larmes pour pleurer, je savais qu’elle regrettait sa vie d’humaine vivante. Souvent, elle allait s’échouer sur les plages, et regardait les enfants jouer dans les petites vagues qu’elle leur envoyait pour les amuser. Ma sœur détestait père. Alors je n’ai plus bougé, et je l’ai regardé couler. Il nous appelait à l’aide, nous trois, les déjà-morts. Et aucun de nous n’a bougé tandis qu’il s’enfonçait dans les ténèbres.

Notre vie a continué, nous étions assez heureux. Quand elle était avec ma mère et moi, ma sœur oubliait le monde des vivants. Et elle aimait la mer. Tous les trois, nous nous sentions infiniment libres.

Fin.

 

 

 

 

 

 

 

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